Yves Charles ZARKA / Le risque de la vérité

31/01/2016

Migrations entre frontières et murs

Filed under: Articles — Yves-Charles ZARKA @ 18:00

Cet article est paru dans Le Figaro le 12 janvier 2016

Les migrations considérables actuelles en provenance de Syrie, d’Irak, de Libye ou d’ailleurs suscitent le débat sur les capacités d’intégration de la France eu égard à ses difficultés économiques et à ses traditions. C’est l’un des motifs majeurs de la montée du Front national en France et des partis du repli sur soi un peu partout en Europe. Semblent s’opposer ainsi les principes d’humanité qui portent à l’accueil et à l’hospitalité et les exigences de préserver l’identité nationale contre des migrants qui viendraient renforcer la lutte contre les principes d’égalité des sexes, de mixité et de laïcité. Cette question est d’autant plus vive que les migrations actuelles sont probablement annonciatrices de beaucoup d’autres bien plus considérables encore, liées aux guerres civiles, mais aussi à la fracture économique entre le Nord et le Sud, au réchauffement climatique qui transforment de larges régions en désert, etc. Les uns veulent une abolition des frontières, les autres une fermeture hermétique de celles-ci. Aucune des deux positions extrêmes n’est valide. Elles reposent toutes deux sur une confusion, quoiqu’en sens inverse, entre le cosmopolitique (le citoyen du monde qui ne connaît pas de frontières et se trouve partout chez lui) et le politique (le citoyen d’un Etat qui n’est chez lui que dans les frontières de cet Etat et non en dehors), au lieu de penser le premier comme régulateur du second. Ce qui veut dire que le principe d’hospitalité pour les réfugiés, leur droit d’être accueillis, ainsi que leur possibilité de demander le droit d’asile doivent être garantis. Mais ces droits qui relèvent d’un souci d’humanité ne doivent pas être instrumentalisés pour d’autres objectifs. Il y faut donc une double condition : que le statut de réfugié soit établi avec le maximum de vraisemblance, ce qui n’est pas du tout le cas actuellement aux frontières extérieures de l’Europe ; que l’accueil soit subordonné à un engagement solennel, dans un contexte lui-même solennel, de respecter les coutumes et la culture du pays d’accueil où ils doivent s’établir. Un tel acte symbolique aurait une portée bien plus considérable que certains ne l’imaginent. L’accueil de réfugiés ne saurait se réduire à une simple procédure administrative.
Il faut cependant insister sur la question cruciale des frontières. Dans l’histoire des Etats-Nations, la souveraineté territoriale était liée au contrôle des frontières. La surveillance des frontières était en effet conçue comme un des attributs de la souveraineté. Or, dans l’Union européenne, la souveraineté est demeurée, pour la plus large part, aux Etats membres alors même que les frontières se sont estompées à l’intérieur de l’Union mais aussi dans une certaine mesure à l’extérieur. Sur ce dernier point, on rappellera que l’Union européenne ne se conçoit elle-même nullement comme close sur les 28 Etats membres qui la composent actuellement et que l’entrée d’autres pays dans cette union est actuellement en examen.
Non seulement l’Europe a perdu le sens des frontières, mais en outre elle n’a pas les moyens de contrôler celles des Etats actuellement limitrophes. En effet à défaut de pouvoir être contrôlées par ce qui serait une souveraineté européenne, laquelle de toute évidence n’existe pas, leur contrôle est dévolu à ces Etats limitrophes. Mais le problème est désormais tout à fait différent de celui qui prévalait dans la configuration des Etats nations entièrement indépendants les uns des autres, dans la mesure où les frontières de l’Europe dépassent considérablement les leurs. Comment faire pour contrôler les frontières d’un espace qui dépasse considérablement celles des Etats particuliers ? La mise en place de contrôles relevant des technologies électroniques et informatiques, qui existent dans d’autres parties du monde, pose ici des problèmes spécifiques. En effet, la mise en œuvre de ces technologies ne peut être dévolue à la souveraineté des Etats particuliers, puisque le contrôle doit s’étendre bien au-delà de leur territoire, mais et elles ne peuvent être non plus sous le contrôle d’une souveraineté européenne, puisqu’elle n’existe pas. On comprend donc le problème des frontières qui se pose aujourd’hui en Europe. Or, c’est précisément lorsque les frontières ne sont plus assurées ou contrôlées que l’on construit des murs. Certains Etats européens construisent des murs, en raison de l’incertitude où se trouve l’Europe concernant ses propres frontières.
En opposant les frontières aux murs, je veux souligner qu’il y a une différence de nature entre les unes et les autres. La caractéristique de la frontière, c’est d’abord qu’elle ne concerne pas uniquement les hommes, mais aussi le droit, les marchandises, les œuvres, les langues, les cultures etc., tandis que les murs ont pour fonction unique d’empêcher le passage des hommes jugés indésirables. En outre, si les frontières permettent un contrôle, elles n’ont en aucune façon le caractère unilatéral et clos sur soi des murs. Les murailles et les murs ont, dans l’histoire de l’humanité, eu pour fonction d’empêcher l’invasion des armées ennemies, les expansions, l’afflux des populations considérées comme indésirables, mais aussi de s’opposer à l’arrivée de populations désespérées dans les pays d’abondance réelle ou imaginaire. Les murs, outre qu’ils sont des moyens le plus souvent inefficaces, ne résolvent rien.

Après le traumatisme, la réflexion sur soi en France

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Article publié dans Le Monde le 8 janvier 2016 sous le titre « L’appartenance à une nation implique des droits mais aussi des devoirs »

La France, frappée, traumatisée, profondément meurtrie par le nouveau terrorisme islamiste dont les principaux acteurs portent la nationalité française, s’interroge aujourd’hui sur elle-même, sur son identité, sur l’idée républicaine qu’elle incarne, sur la nationalité, sur sa capacité à accueillir des migrants sans compromettre sa cohésion interne et ses traditions. Ces interrogations sont bien sûr essentielles, elles expriment un retour sur soi, un examen collectif de conscience qui touche toutes les classes de la société mais aussi les institutions, les partis politiques. C’est dans ce cadre que la révision de la constitution avec l’inscription de l’état d’urgence et l’extension de la déchéance de nationalité se situe. Cette réflexion générale sur soi traduit la profondeur du traumatisme subi. Mais il importe d’élucider des confusions, de repérer des amalgames, de mettre en évidence des malentendus qui l’obscurcissent. Ce sont deux de ces confusions qui obscurcissent la délibération publique que je voudrais souligner ici.

1/Le projet de constitutionnaliser l’état d’urgence a réouvert le débat sur le rapport entre liberté et sécurité. Une opinion assez largement répandue voudrait que limiter la liberté au nom de la sécurité relèverait d’un jeu de dupes où une perte certaine de liberté serait échangée contre un gain incertain de sécurité. La démocratie risquerait donc à ce jeu de compromettre ses valeurs au nom d’une lutte contre ceux qui les nient. Cette position repose sur une confusion, parce que liberté et sécurité ne sont en elles-mêmes nullement opposées. Ni la liberté de déplacement, ni la liberté de culte, ni la liberté d’expression, ni la liberté d’éducation, ni aucune autre liberté ne peut exister sans que la sécurité des voies publiques, des lieux de culte, des organes de presses et des écoles, c’est-à-dire en définitive des personnes, ne soit assurée. Les massacres de janvier et de novembre 2015 l’attestent amplement. Dans une société démocratique la sécurité est un moyen qui a pour fin la liberté. Ce n’est que lorsque la sécurité devient en elle-même la fin qu’elle peut compromettre la liberté et, paradoxalement, produire l’insécurité. Il n’y a de véritable sécurité que dans un Etat de droit, où les libertés sont protégées.
Or, un certain nombre de maîtres de confusion entendent voir dans toute démarche visant à assurer ou à renforcer la sécurité dans des circonstances exceptionnelles, comme celle du terrorisme islamiste aujourd’hui, une atteinte au principe démocratique lui-même. C’est le cas de G. Agamben dans un article du Monde du 24 décembre dernier. La dénonciation de la constitutionnalisation de l’état d’urgence aujourd’hui y est réalisée à travers un tissu d’amalgames historico-politiques, comme celui qui consiste à mettre en parallèle la situation de la République de Weimar avec celle de la France aujourd’hui. Cette prétendue défense de la démocratie libérale, outre qu’elle repose sur une lecture erronée des défaillances de la République de Weimar, n’est pas sans surprendre lorsque l’on sait que le même G. Agamben est ordinairement l’un des principaux thuriféraires des thèses de Carl Schmitt, juriste éminent des nazis, adversaire radical de la démocratie libérale et de l’Etat de droit qui valorisait l’état d’exception jusqu’à lui faire exprimer l’essence véritable du politique.
Il faut sortir de cette confusion pseudo-intellectuelle en rétablissant les véritables enjeux. La constitutionnalisation de l’état d’urgence n’est en aucune façon une remise en cause de la démocratie, non seulement parce que d’autres démocraties l’ont réalisée, mais en outre parce qu’une telle démarche pourrait clairement définir sa place et sa fonction dans une loi fondamentale qui vise précisément à protéger et garantir les libertés. Plutôt que d’être un article (comme l’article 16 de la Constitution de la 5ème République) qui confère au président de la République des pouvoirs exceptionnels mais flous (prendre « les mesures exigées par ces circonstances »), la constitutionnalisation de l’état d’urgence aurait pour fonction de définir clairement ces pouvoirs exceptionnels dans le cadre d’une protection les droits fondamentaux.

2/ Le projet d’inscrire la déchéance de nationalité dans le cadre de la révision constitutionnelle donne lieu à des confusions plus grandes encore. N’a-t-on pas dit que priver un terroriste, dûment reconnu et condamné comme tel, de la nationalité française serait remettre en cause les droits de l’homme ? Comme si les droits de l’homme comportaient un droit à la nationalité. Les droits de l’homme sont des droits naturels, ils ne sont attribués par personne et ne peuvent être retirés par personne. Ils sont liés à la personne humaine en tant que telle et indissociables d’elle. Cela n’est pas du tout le cas de la nationalité : celle-ci est historique et politique. Qu’il s’agisse du droit du sang, du droit du sol ou des deux à la fois, ce qui est le plus souvent le cas, ou encore de la naturalisation, la nationalité est toujours historique, c’est-à-dire acquise. Elle est conférée en vertu de l’appartenance à une nation, selon des modalités diverses elles-mêmes historiques.
Certes l’article 15 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 porte que « Tout individu a droit à une nationalité » et que « nul ne peut être privé arbitrairement de sa nationalité ». Mais, outre qu’il n’est aucunement question en l’occurrence de priver qui que ce soit arbitrairement de sa nationalité, cet article 15, et il n’est pas le seul, atteste la faiblesse théorique de cette convention internationale. Il s’agissait, il est vrai, d’empêcher que des individus soient mis dans la condition d’apatrides, mais il n’en résulte pas pour autant que la nationalité soit à proprement parler un droit de l’homme. Si elle l’était, il faudrait que la nationalité soit liée à l’idée d’homme en tant que tel, comme la liberté ou l’égalité, ce qui n’est pas du tout le cas. La nationalité n’est pas plus un droit naturel que les nations ne sont elles-mêmes naturelles. En tant que telle, la nationalité donne des droits – tous ceux qui relèvent de la citoyenneté – mais elle est également liée à des devoirs. Lorsqu’un individu par des projets ou des actes de terreur aveugle, clairement et juridiquement attestés, attente à la vie de ses concitoyens ou projette de le faire, il se délie lui-même de son appartenance à cette nation. L’Etat est alors en droit de le destituer publiquement de sa nationalité. Cela doit être valable pour tout citoyen quelle que soit la manière dont il a acquis la nationalité par droit du sang, du sol ou par naturalisation. On aura résolu par là-même l’épineux problème de la division des citoyens en destituables et non destituables.

23/07/2015

Pour ne Déclaration universelle des droits de l’humanité

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Cet article a été publié dans Libération le 14, juillet 2015 libération


Université Paris Descartes

Le Président François Hollande a demandé, il y a environ un mois, à Corinne Lepage, ancienne ministre de l’écologie, une « Déclaration universelle des droits de l’humanité ». Cette déclaration aurait pour objet de compléter la Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée en 1948 par les Nations unies. L’idée serait de discuter cette déclaration et, éventuellement, de l’adopter lors de la conférence climat qui se déroulera à la fin de l’année à Paris (COP21).

Pourquoi une telle déclaration est-elle importante ? Premièrement, en raison du caractère universel qu’elle ne peut pas manquer d’avoir. Il s’agirait en effet de définir les principes communs à l’ensemble de l’humanité, au-delà de la diversité des cultures, des coutumes, des manières de vivre, des religions, sans nier cette diversité. L’enjeu premier est donc de montrer que, au-delà de la relativité des valeurs et des points de vue, il y a la possibilité de penser une dimension commune, un intérêt commun, susceptible de donner un contenu positif à l’idée d’humanité. (more…)

01/02/2015

Je pense, donc je suis un cerveau !

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Article publié dans le n° 60 de la revue Cités (PUF), janvier 2015.

Les neurosciences connaissent depuis quelques décennies un développement international impressionnant, tant du point de vue de l’expérimentation scientifique que de la connaissance de la structure et des fonctions du cerveau. Les dimensions constitutives de notre vie mentale, la conscience et l’inconscient, semblent devenir leurs lieux privilégiés d’investigation. Les ouvrages sur L’Homme neuronal[1]La Biologie de la conscience[2]Making up the Mind[3]The Quest for Consciousness[4]Leçons sur le corps, le cerveau et l’esprit[5], La Décision[6]Le Nouvel Inconscient[7], Le Code de la conscience[8] ne se comptent plus[9]. Chaque fois, c’est le projet d’une théorie scientifique de la conscience qui se trouve affirmé quelles que soient les divergences des auteurs, pour la plupart neurologues. Les neurosciences entendent désormais rendre compte de tout l’univers mental et donc s’étendre à tous les champs qui sont directement ou indirectement reliés au fonctionnement cérébral. Cette montée en puissance des neurosciences dans l’univers mental ne relève pas de l’effraction. Qui en effet pourrait nier que nos pensées, nos expériences vécues ont un support neuronal et donc ne sont pas liées à des processus chimico-biologiques ? (more…)

31/08/2014

Marx et le politique

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Cet article est paru dans la revue Cités 59 « Marx politique », septembre 2014

 

« Les conditions bourgeoises de la production et du commerce, les rapports de propriété bourgeois, la société bourgeoise moderne, qui a fait éclore de si puissants moyens de production et de consommation, ressemble à ce magicien, désormais incapable d’exorciser les puissances infernales qu’il a invoquées ». Marx, Manifeste communiste

À la question : qu’est-ce que le politique pour Marx ?, on ne saurait donner une réponse unilatérale.

En un sens en effet le politique occupe une place centrale dans sa pensée : il est en effet inscrit dans l’histoire même de la lutte des classes dont on sait qu’elle est une guerre sans répit qui traverse l’histoire des sociétés. Celle-ci, mue par l’opposition des oppresseurs et des opprimés, est marquée « soit par une transformation révolutionnaire de la société tout entière, soit par la ruine commune des classes en lutte[1] ». La lutte des classes n’a pas seulement une dimension économique et sociale, marquée par le rapport entre modes de productions successifs et rapports de production, mais aussi politique. Cette dimension politique empêche de donner une vision purement déterministe de son cours. Elle y introduit la contingence : soit une transformation révolutionnaire, soit l’effondrement commun des classes en lutte. (more…)

11/03/2014

Néocolonialisme et génocide

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Cet article est paru dans le numéro 57 de la revue Cités (PUF)   « Génocide des Tutsi du Rwanda : un négationnisme français ? »

« Le génocide des Tutsi commence à Kigali dans la nuit du 6 au 7 avril [1994]. Dans la journée du 7 avril, les premiers massacres de masse sont perpétrés dans les provinces du Nord et du Centre. Le génocide s’étend le 8 avril aux régions de l’Est et de l’Ouest. Les premières victimes sont assassinées chez elles – des familles entières – ou aux barrages. Dès le soir du 7 avril, les Tutsi sont tués dans les bâtiments publics où ils se sont réfugiés : églises, écoles, hôpitaux. Les soldats et les gendarmes tiennent les routes, les policiers et les miliciens patrouillent dans les quartiers pour traquer les Tutsi. Les principales hécatombes ont lieu entre le 11 avril et le 1er mai. La machine à tuer est mise en marche par un petit groupe de planification : des officiers, des ministres, des préfets, des sous-préfets et ceux qui contrôlent l’appareil de propagande […] Pour la première fois dans l’histoire, un gouvernement autoproclamé, donc sans légitimité, va, en cent jours, se consacrer presque exclusivement à la perpétration d’un génocide et appeler tout un pays à s’unir pour y parvenir »[1]. (more…)

27/12/2013

La philosophie à l’époque de la marchandisation de la culture

Filed under: Articles — Yves-Charles ZARKA @ 17:50

Cet article est paru dans la revue Cités numéro 56 « La philosophie française aujourd’hui (1) »

La philosophie n’est pas une simple forme culturelle. En tout cas, elle ne peut y être réduite sans perdre le rapport à la vérité qui lui est constitutif. Il est, bien sûr, toujours possible de considérer une philosophie comme appartenant à un champ culturel déterminé, comme on le fait pour une œuvre romanesque ou une œuvre d’art. C’est d’ailleurs ce qui arrive le plus souvent lorsqu’on aborde une philosophie d’un point de vue strictement historique ou lorsque l’on s’engage dans une discipline dont les contours sont aussi mal définis que l’histoire des idées. Quelque intérêt et utilité, d’ailleurs indéniables, que puissent avoir ces approches du discours philosophique, elles manquent néanmoins ce qui fait l’essence d’une philosophie : un rapport spécifique à la vérité. (more…)

11/11/2013

De l’homme-machine à la machine post-humaine : La vision machinique du monde

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Cet article est paru dans la revue Cités, numéro 55/2013

« Le transhumanisme, c’est tout simplement l’idée que la technologie donne à l’homme les moyens de s’affranchir de la plupart des limitations qui lui ont été imposées par l’évolution, la mort étant la première d’entre elles. A terme, on pourrait voir naître, au-delà du post-humain, les premières créatures post-biologiques : soit des intelligences artificielles succèderont à leurs géniteurs humains, soit les hommes eux-mêmes fusionnés avec la machine jusqu’à être méconnaissables »

Rémi Sussan, à propos de son livre Les utopies post-humaines, Paris Omnisciences, 2005.

« Les individus amputés et réparés par prothèse robotique sont en réalité le laboratoire où s’expérimentent les formes de vie de l’avenir : où l’humain sera prolongé, c’est-à-dire à la fois amplifié et potentiellement annihilé par l’avènement d’autre chose qui n’est plus lui »

Thierry Hoquet, Cyborg philosophie, Paris, Seuil, 2011.

Tout est dit ou presque du post-humanisme dans ces deux passages à la fois du projet et de son actualité. Le post-humanisme est déjà là, aujourd’hui, dans les pratiques technologiques et les représentations du futur : l’homme se croit devenu à ce point maître de lui-même qu’il peut se faire autre que lui-même, se recréer différent, plus puissant, plus performant, plus beau, plus intelligent, enfin plus parfait. Non seulement il n’y a pas de nature humaine, mais il faut abolir tout ce qu’il reste de naturel dans l’homme pour que celui-ci puisse s’accomplir dans un être autre qui ne connaîtrait plus la naissance, la maladie, l’échec, la souffrance et la mort. Un être qui n’aurait plus le caractère erratique que lui confère la liberté. Une société sans conflit où tous les désirs seraient satisfaits parce qu’il n’y aurait plus de désirs, ni rien à désirer, où la soumission à l’autorité ne poserait plus de problème. En somme, il s’agirait de l’avènement d’un être déchargé des limites que lui impose son corps précaire, fragile, insatisfait et mortel1. A celui-ci serait substitué un corps artificiel, fait de matière inaltérable ou en tout cas substituable. Rêve ou cauchemar ? Toute la question est de savoir ce qui dans le post-humanisme relève du fantasme et ce qui relève de la réalité. (more…)

28/08/2013

La psychanalyse contre la nouvelle barbarie

Filed under: Articles — Yves-Charles ZARKA @ 14:32

Article paru dans la revue Cités numéro 54, le 28 août 2013

 

La psychanalyse est aujourd’hui attaquée de toutes parts[1]. Certains ne cachent plus leur volonté de la détruire comme théorie du psychisme, comme thérapeutique et comme discipline universitaire. Qu’est-ce qui se cache derrière cette volonté de destruction ? N’est-ce pas une nouvelle barbarie lentement exsudée par l’idéologie de notre monde productiviste ? Pour démasquer cette nouvelle barbarie, il faut expliquer les raisons pour lesquelles la psychanalyse lui apparaît comme l’ennemi à abattre. Il ne peut s’agir de points de détail, mais de positions fondamentales. Celles qui relèvent des présuppositions philosophiques de la psychanalyse dans la mesure où elles engagent la détermination de l’être même de l’humain.

Quelles sont les présuppositions philosophiques de la psychanalyse touchant l’être de l’humain ? Je retiendrai ici cinq thèses fondamentales. (more…)

20/07/2013

Les nouveaux mercenaires

Filed under: Articles — Yves-Charles ZARKA @ 20:31

Cet entretien avec le journaliste Philippe Petit a été publié dans l’hebdomadaire Marianne, du 20 au 26 juillet. Il a été tronqué dans l’hebdomadaire. 

-Philippe Petit : Justement: quel statut accordez-vous aux textes de Ferry et d’Onfray?

– Yves Charles Zarka :Je l’ai dit, ce qui confère le caractère de « philosophe » à un auteur quelconque, et de « philosophique » à un ouvrage, c’est précisément l’œuvre elle-même. Qu’est-ce qu’une œuvre philosophique ? Le caractère le plus général et le plus fondamental de celle-ci, c’est de n’avoir aucun autre objet, aucune autre finalité que la recherche de la vérité. Il y a au fondement de la philosophie un désir de vérité, qui, en lui même, n’est nullement limité aux philosophes, mais est partagé par tout être humain, même s’il n’est pas reconnu, même s’il est défiguré, même s’il conduit à des dérives parfois terribles. Mais ce désir de vérité qui anime tout être humain devient chez le philosophe son objet propre, sa motivation essentielle, en somme sa raison d’être en tant que philosophe. C’est en cela que la philosophie est dans son essence l’exercice libre de la pensée. On ne peut concevoir de recherche de la vérité sans supposer une liberté (de penser, d’expression, de critique) au fondement de cette recherche. Une troisième notion est liée au discours de vérité, c’est le risque : le risque de la vérité. Il s’agit d’un risque pour soi-même, d’abord.. Rien n’est en effet plus dangereux que de dire la vérité dans la Cité. Socrate l’avait souligné. Ce qu’il disait est toujours absolument valable aujourd’hui. A cet égard rien n’a changé, trois notions définissent la philosophie : liberté, vérité, risque pour soi (pour sa réputation, pour sa liberté et même pour sa vie, y compris en régime « dit » démocratique). La philosophie ne saurait donc accepter les instrumentalisations, les résignations, les compromis, les démissions, à l’égard de qui que ce soit.

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