Yves Charles ZARKA / Le risque de la vérité

19/06/2013

La Philosophie partout ?

Filed under: Articles — Yves-Charles ZARKA @ 15:50

Article paru dans le monde.fr le lundi 17 juin 2013

 

Jeudi 13 juin, journal télévisé de 20h sur France 2. Un des dossiers examinés (le journal consiste plus en dossiers qu’en informations sur la situation de la France et du monde) concerne la philosophie quelques jours avant l’épreuve « reine » du bac. On nous répète que la philosophie connaît une diffusion considérable, que les livres se vendent par centaines de milliers, que les amphis sont combles. On prend toujours les mêmes exemples, ceux de Luc Ferry et de Michel Onfray. Sans même se demander quel est le statut des textes que ces auteurs publient.

La philosophie serait ainsi partout (salles de conférences, cafés philo, clubs, festivals, « nuits de la philosophie » et la toute nouvelle « fête de la philosophie », j’en passe et des meilleurs) La réalité est toute différente : les classes dites « littéraires » des lycées sont en très net recul, elles diminuent en peau de chagrin, le nombre d’étudiants régresse d’année en année, certains départements universitaires surtout en province, mais aussi en région parisienne, connaissent une baisse dramatique des effectifs, il s’ensuit une réduction du nombre des postes de maître de conférences ou de professeurs. Ce n’est pas tout : l’édition philosophique connaît des difficultés considérables : nombre et surtout types de publication en réduction importante. Si Michel Foucault, en début de carrière, donc encore inconnu, présentait aujourd’hui son « Histoire de la folie », celle-ci ne serait pas publiée. On lui dirait avant même de lire son manuscrit que celui-ci est trop gros, que ce genre de volume est invendable.

 

Est-ce à dire que c’est l’université qui va mal, alors que la philosophie grand public va bien, avec comme sous-entendu que les universitaires rivés à des objets caducs sont incapables d’intéresser le public alors que les « philosophes grand public » abordent des questions qui concernent tout le monde. Cet argument ne tient pas une minute. Tous les « philosophes médiatiques » ont été formés à l’université. Ils ne feraient pas ce qu’il font s’il n’avaient pas eu cette formation.
Ce qui se passe est tout à fait différent et tient à l’emprise du capitalisme et des médias sur le monde de la culture aujourd’hui. Il y a quelques décennies, du temps de Sartre, et même de Foucault, Deleuze ou Derrida, c’était l’œuvre qui faisait la réputation d’un philosophe et lui donnait ce statut. Aujourd’hui tout a changé. C’est le chiffre de vente et l’écho médiatique qui donnent une légitimité factice et pour tout dire usurpée.

Certains s’en sont aperçu, et écrivent des livres qui plaisent aux médias et par leur intermédiaire au plus grand nombre. On fait des livres pour vendre, pour faire du chiffre. La philosophie a ainsi été absorbée dans le cycle de la marchandisation dont les clés sont : le chiffre et le spectacle. C’est ainsi que, alors que la philosophie régresse, on fait croire aux gens qu’elle va très bien. On fait passer du bavardage inconsistant pour de la philosophie. On la discrédite.

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